Difficile d’aborder le sujet de la maison dite écologique sans parler des toilettes sèches ou wc secs. Un sujet à prendre au sérieux pour son enjeu environnemental et sociétal… Chaque français tire une chasse d’eau environ 4 fois par jour, déclenchant ainsi l’envoi de 9 litres d’eau potable dans le réseau d’assainissement, soit 36 litres par jour, 13 140 par année, donc un peu plus de 13 m3. Pour une famille de 4 personnes … plus de 50 m3 !
Est-il possible de gérer les toilettes sans utiliser de l’eau, qui plus est, de l’eau potable ?
Dans un contexte de réchauffement climatique et de raréfaction de l’eau potable, c’est une question qui vaut la peine d’être posée.
Si c’est possible, quelles sont les solutions à notre disposition ? Et alors, pourquoi ne le ferions-nous pas ?
Certains se sont posés cette question depuis longtemps et, non contents d’y avoir réfléchi, ont mis au point des principes, souvent simples, toujours efficaces et déjà utilisés depuis assez longtemps pour que nous puissions les considérer comme éprouvés.
Nous allons, au fil de cet article, analyser divers points qu’il nous semble important d’aborder avec un esprit neuf, sans a priori, sans tabou et avec la volonté de comprendre tous les enjeux d’une éventuelle, voire nécessaire, évolution.
Nous nous pencherons sur les gestions collectives ou individuelles courantes de nos excréments. Nous irons ensuite directement aux solutions qui nous sont proposées pour, entre autre, éviter de consommer autant d’eau.
Nous verrons également les inconvénients inhérents à nos habitudes actuelles et tous les intérêts, tant au plan sociétal qu’au plan personnel, que nous aurions à opter pour ces systèmes innovants.
Type le plus courant de toilettes en France
En 2017, les toilettes les plus répandues, presque élevées au rang de normalité, sont à chasse d’eau. Que deviennent le caca ou le pipi, religieusement et secrètement déposés dans la cuvette, hors la vue, l’ouïe et l’odorat (autant que faire se peut) des autres ?
Nous développerons plus loin ce que cette hégémonie engendre en terme d’inconvénients et les opportunités qu’elle laisse de côté.
Gestion courante des rejets
Emportées, transportées par l’eau de la chasse d’eau, nos fèces (caca, matières fécales, selles, déjection …) et urines sont évacuées vers une installation de traitement dont le modèle sera déterminé selon les situations.
Gestion collective (aussi appelée assainissement collectif)
Il s’agit, le plus souvent, de stations d’épuration. Les rejets divers collectés le long des réseaux d’égouts y sont amenés via l’eau rejetée en amont (vaisselle, toilette, lessive, chasses d’eau …).
Elles sont de plusieurs types, chacun avec son lot d’avantages et inconvénients. Les choix dépendent le plus souvent des volumes à traiter, de leur régularité d’approvisionnement et de l’espace disponible pour l’installation.
Les plus répandues sont constituées de bassins successifs dans lesquels les eaux usées (grises et noires) sont traitées dans des bassins bétonnés dans lesquels les eaux passent successivement. Viennent ensuite les systèmes par lagunage et, enfin, beaucoup plus rarement, de mini stations d’épuration .
Ces dernières fonctionnent sur le principe des fosses individuelles.
Leurs autorisations d’installation, comme celles d’installations individuelles, sont soumises au contrôle des Services Pour l’Assainissement Non Collectif, les SPANC.
Gestion individuelle
Si le bâtiment émetteur des eaux usées n’est pas raccordé ou raccordable à un système d’égouts, il est fait appel à la gestion non collective, appelée aussi assainissement individuel.
Cet assainissement non collectif, ou plutôt ces, peuvent être de plusieurs types allant de la fosse septique (limitée aux eaux grises), à la fosse toutes eaux (eaux grises et noires), en passant par les systèmes de phytoépuration.
Nous avons, ici, édité un dossier intitulé “L’assainissement autonome”, qui traite de ce sujet.
Certaines de ces installations autonomes font appel aux toilettes sèches.
Types de toilettes sèches
Le principe des toilettes sèches, par opposition aux toilettes à chasse d’eau, est qu’elles ne font pas appel à un apport d’eau. Elles se déclinent en deux grandes familles, elles mêmes avec, parfois, des sous-familles. Ces systèmes sont présentés et expliqués (pdf), simplement mais de façon complète, sur un document émis par le Réseau de l’Assainissement Ecologique (RAE) dont bon nombre de fabricants ou installateurs sont membres.
Toilettes à litière biomaîtrisée (TLB)
Il s’agit de l’installation la plus simple et la plus répandue.
La traditionnelle cuvette et son réservoir d’eau sont remplacés par un siège percé, un seau dessous et, à côté, en lieu et place du réservoir d’eau, un réservoir de matières végétales sèches. Les fèces et les urines sont recueillies dans le seau.
Jusque là, peu de changements, c’est ensuite que les habitudes et les gestes évoluent : au lieu de tirer la chasse d’eau pour évacuer les déjections, il faut les recouvrir de matière végétale sèche, riche en carbone.
Beaucoup de types de végétaux secs peuvent être utilisés, allant de la paille concassée ou broyée au bois raméal fragmenté (BRF). Le plus couramment utilisé, un des plus efficaces aussi, consiste en un mélange de copeaux et de sciure de bois secs. Les copeaux vont permettre l’aération de l’ensemble et faciliter le travail des bactéries aérobies, la sciure, quant à elle, va absorber l’urine, jugulant ainsi son odeur caractéristique d’ammoniac. Elle “bloque” aussi les odeurs des selles. Enfin, l’ensemble, en recouvrant la totalité des déjections, soigne l’aspect visuel.
Cet ensemble, à la fois d’équipement, d’apports et de méthode de gestion des rejets, ne dégage pas d’odeur et celle qui règne alentour est beaucoup plus proche de l’odeur des sous-bois que de celles caractéristiques des matières fécales et des urines.
Sans dégagement d’odeur, nos cacas n’attirent pas les mouches et, vous l’avez compris, si les lieux d’implantation restent des espaces dédiés aux cacas et pipis, ces installations sont à des années lumière des cabanes au fond du jardin que certains d’entre nous ont connues, avec leurs nuées de mouches et leurs odeurs peu ragoutantes, sans parler de la vue du fond du trou !
Le récipient collecteur est le plus souvent un seau. Il peut être métallique, l’acier inoxydable est la matière la plus courante. Un seau en cuivre coûterait trop cher et un seau en acier ordinaire serait bien vite attaqué et percé… Il est aussi possible d’opter pour un seau en plastique, certes beaucoup moins cher mais qui, à l’usage, est assez rapidement attaqué par les urines (odeurs rémanente après vidage. L’alternance de plusieurs seaux peut limiter ce risque).
Le récipient, selon son dimensionnement et le nombre d’utilisateurs sera vidé régulièrement. Son contenu sera mis à composter. Le compostage en réduit l’usage aux habitats disposant d’un espace suffisant pour le réaliser, ce qui limite ce type de toilettes sèches à la maison individuelle et, en tout état de cause, l’exclut des habitats collectifs, particulièrement aux étages supérieurs.
Cependant rien n’interdit d’imaginer un système de collecte avec seaux étanches et valorisation collective. Nous n’en avons pas connaissance de façon formelle mais il nous a été rapporté qu’une association le pratiquerait ou l’aurait pratiqué sur Rennes …
Ce type de toilettes est aussi de plus en plus souvent mis à disposition du public dans des manifestations extérieures, festivals et autres rassemblements. Ne nécessitant aucun raccordement, mobiles par excellence, ils sont très bien adaptés à cet usage.
Toilettes à séparation d’urine
Cette technique consiste à séparer les fèces et les urines.
Cette séparation peut s’opérer de 2 façons, soit à la source, soit par gravité.
Dans les 2 cas les fèces peuvent être valorisées par compostage, et les urines, quant à elles, soit évacuées et traitées avec les eaux grises, soit stockées dans un récipient adapté et valorisées séparément.
Séparation à la source
Les urines peuvent être récupérées et épandues pour fertiliser un terrain. Elles peuvent aussi être rejetées avec les eaux grises, ceci se faisant sans apport supplémentaire d’eau.
Certains équipements en prévoient pourtant une petite consommation pour rincer de temps en temps cette partie de collecte : de l’ordre de 100 ml tous les 10 usages, donc infiniment moins qu’avec le système courant.
Les fèces seront stockées dans un réceptacle.
Si ce réceptacle est intégré au siège, afin d’éviter les odeurs et aussi pour en accélérer le dessèchement, un système de ventilation forcée est généralement intégré à l’appareil.
Les fèces, du fait qu’elles seront desséchées, vont perdre considérablement de leur volume et, au final, n’émettront plus d’odeur. En cas de non disponibilité de terrain pour composter, en cas de vie dans un immeuble collectif, ce type de toilettes sèches est une alternative intéressante. La consommation d’électricité pour le ventilateur est très faible, de l’ordre de 10 à 15 W, ce qui implique une consommation d’environ ⅓ de kWh par jour, assez faible pour l’envisager via un système photovoltaïque.
Si le réceptacle est séparé, il est souvent plus volumineux, ce qui permet une collecte sans assèchement mais avec un compostage classique à suivre. Il est nécessaire, là aussi, de ventiler ce réservoir collecteur.
Séparation gravitaire
Il s’agit ici de séparer les fèces et les urines par gravité grâce à différents moyens, allant d’un tapis roulant à la chute des éléments sur un ou des plan(s) incliné(s) et stockage de chacun d’eux séparément.
Là aussi, les fèces et les urines seront valorisées séparément.
Toilettes à lombricompostage
Le compostage classique est assuré par des micro-organismes divers, champignons, bactéries… On peut aussi le confier aux lombrics, ils accélèrent considérablement les choses.
Ce qui est vrai des matières organiques natives l’est aussi de nos déjections.
Il s’agit, dans ce cas de toilettes sèches, de confier les fèces à des lombrics. Il faut donc les séparer des urines, ce qui en fait, au départ, des toilettes à séparation d’urine.
Au lieu de stocker les fèces dans un récipient étanche, on les dirige vers un lieu où des lombrics les prendront en charge.
Il est possible de les transférer directement vers le lieu de compostage via un tapis roulant.
Vu à l’étranger
Parce que les choses sont rarement tranchées, blanches ou noires, nous tenons à évoquer ici une alternative qui pourrait être un mix des toilettes sèches à litière bio-maîtrisée et des toilettes à lombricompostage.
Des amis, de retour d’Australie, malheureusement sans photo de la chose, nous faisaient part, il y a une quinzaine d’années de la spécificité des toilettes d’une maison qu’ils y avaient louée, un peu à l’écart, proche du bush.
Comme c’est souvent le cas là-bas, ne serait-ce que pour se préserver des “visites” de serpents, cette maison était surélevée. Cette hauteur avait été mise à profit pour y créer une sorte de cheminée extérieure allant du sol naturel à un plancher sur lequel était installé un siège percé, pas de réservoir d’eau mais le nécessaire seau de végétal sec. La conduite extérieure, composée d’un empilage d’éléments de piliers en béton, se terminait sur une embase plus large, également en béton, directement au sol, dotée d’un fond étanche et munie d’une trappe latérale. Après plusieurs années d’utilisation, le compost, prêt à l’emploi, se récupère via la trappe.
Nous ne connaissons pas de développement de tels systèmes chez nous, peut-être car ce principe implique de disposer de hauteur et d’un contact direct avec l’extérieur.
Avantages de l’utilisation des toilettes sèches
Au plan de l’eau
En tout premier, cela permet de ne plus consommer d’eau pour cet usage. Or, les toilettes à chasse d’eau représentent, en France, le 2ème poste de consommation de ce si précieux (et coûteux!) liquide (environ 40%), avec un total annuel de plus de 100 millions de m3. Est-il besoin de rappeler, ici, que la disponibilité et l’accès à l’eau sont, à elles deux confondues et en sus du CO2 libéré, une des grandes problématiques à régler au plus vite.
Cerise sur le gâteau, nous utilisons à cet effet de l’eau potable !
Au plan implantation
L’absence de contrainte liée à l’eau, tant pour l’alimentation que pour l’évacuation autorise l’implantation de wc en des endroits impossibles avec un système à chasse d’eau.
Au plan valorisation
Engrais
Certes les eaux usées traitées dans les stations d’épuration ou les assainissements non collectifs permettent également, en théorie, de valoriser les excréments en engrais mais, car il y a un mais : mélangés à d’autres substances à proscrire pour épandage dans la nature (des métaux lourds, les résidus de détergents, lessives et autres produits d’utilisation courante, …). Ce qui fait que ces boues sont bien souvent inexploitées ou, en tout cas, moins bien valorisées. Une exception : les assainissements autonomes plantés. Comme les toilettes sèches, ils impliquent une action volontaire des utilisateurs.
Production de gaz
Tout comme il est de plus en plus courant de produire du gaz à partir de lisier, particulièrement du méthane, dans des digesteurs qui traitent les excréments des animaux dans les élevages, il serait possible de valoriser nos déjections en les collectant tel qu’évoqué ci-avant, mais ceci est encore, à ce jour, une musique d’avenir. Des mini-digesteurs commencent à être commercialisés pour répondre à cette demande.
Au plan gestion des déchets verts
Plus besoin d’aller à la déchetterie pour se débarrasser des résidus de tonte ou du taillage des haies (si possibilité de broyer les reliquats du taillage) puisque, après séchage, ils pourront servir pour l’apport de matière végétale.
Inconvénients
Implantation
Quiconque a travaillé à l’établissement des plans d’une maison sait qu’il est deux points importants et difficiles à positionner : l’escalier quand il y en a un et … les wc. Il faudra, en plus des circulations diverses, se poser la question de la circulation lors de l’évacuation du seau plein…
Gestion des odeurs
Les toilettes à litière bio-maîtrisée n’émettent pas d’odeur lors de l’exploitation, si ce n’est une odeur de sous-bois.
Les toilettes à séparation des urines et assèchement des fèces, du fait de la nécessaire ventilation du compartiment qui les contient, obligent à prévoir l’évacuation de ces effluents vers l’extérieur. Ceci impose soit une gaine de plus à implanter et gérer, soit une implantation contre une paroi extérieure.
Matière végétale sèche
En cas du choix de toilettes à litière bio-maîtrisée, il faudra se procurer les copeaux et la sciure ou toute autre matière végétale sèche. Pour qui est bricoleur et travaille le bois, c’est une source possible, pour qui tond sa pelouse ou taille des haies, c’en est une autre. Pour les autres, il sera toujours possible d’opter pour les sacs de litière pour hamsters et autres rongeurs élevables en cage, mais le coût sera alors non négligeable. C’est aussi un stock de plus à gérer.
Enfin, en cas de présence proche d’une scierie, menuiserie ou autres producteurs de sciures ou copeaux de bois, ces entreprises sont, généralement, disposées à en vendre une partie. Une forme d’économie circulaire et de … propagation de l’idée car, si vos interlocuteurs ne connaissent pas les toilettes sèches, ils seront forcément intrigués.
Vidage du réservoir
En cas du choix de toilettes à litière bio-maîtrisée, le vidage se fait, pour 4 personnes, environ 1 fois par semaine.
Lorsque le seau est sorti de son espace en vue d’être vidé, il ne dégage pas d’odeur. Par sécurité, par hygiène ou pour progresser lentement vers ce type de toilettes, ceux qui le souhaitent pourront opter pour un seau à couvercle, ne serait-ce que pour le convoyage dans la partie habitée.
Si, avant le premier usage, de la sciure a été déposée au fond du seau, l’ensemble se décollera sans difficulté.
Lors du vidage sur le compost, le fond du seau peut dégager des odeurs d’ammoniac car l’urine aura commencé son compostage, mais cela ne se produira qu’en extérieur et cet inconvénient ne présente aucun risque sanitaire, juste une odeur désagréable … largement compensée par le plaisir de l’odeur de sous-bois le reste du temps.
Avant sa remise en place, il est nécessaire de nettoyer le seau à l’eau. Celle-ci sera vidée sur le compost et participera ainsi à son humidification. Un peaufinage de nettoyage avec du vinaigre blanc peut s’avérer nécessaire.
Gestion du(des) compost(s)
Par mesure de sécurité, nous conseillons 2 tas de compost, l’un qui vieillit gentiment pour atteindre 15 à 18 mois, en “sommeil”. La mise en sommeil du tas avant emploi du compost est un minimum nécessaire, ceci pour être certain que tout agent pathogène éventuellement présent soit détruit.
Mais est-ce vraiment un handicap dans la mesure où plus le compost aura eu le temps de mûrir, meilleur il sera !
En cas de choix d’un système à séparation d’urines gravitaire, l’évacuation des fèces se fait de façon beaucoup plus espacée dans le temps et, selon le système choisi, la matière évacuée peut être un compost utilisable pour directement amender un terrain.
Conclusion
Parfois (souvent ?), nous ne nous prenons pas en main pour décider, individuellement, d’assumer notre part des choses et préférons nous cacher derrière des solutions toutes prêtes, certes très modernes, aseptisées, et, avouons-le, pratiques dans nombre de domaines.
La gestion de nos fèces et urines n’échappe pas à cette tendance.
Nos croyances, notre éducation, nos coutumes, nous ont amenés à l’universalité des toilettes à chasse d’eau.
Est-ce une fatalité ?
Oui si nous le décidons, ce qui, avouons-le, serait une forme de lâcheté.
Non si nous le décidons, et là, c’est vrai, cela implique une certaine forme de courage, mais c’est possible, c’est même parfaitement légal depuis l’arrêté du 7 septembre 2009 (pdf).
Anecdote : on rapporte que Bernard Montgomery, éminent général et major général des armées britanniques, attribue, en partie, sa victoire en Afrique du Nord sur l’Afrika korps de Rommel au fait que l’armée britannique aurait mieux géré les excréments des soldats, empêchant les mouches d’y accéder, ce qui a limité les maladies dans ses troupes, contrairement aux troupes ennemies … comme quoi la gestion des pipis et cacas peut avoir des impacts imprévus et importants !
Toujours se méfier quand on parle de “merde” à un anglais, ça peut mal finir ! N’est-ce pas M. CAMBRONNE ?
Avec la participation de : François Thiberge, Frédéric Caille, Stéphane Vicat, Dominique Lonzi, Jean-François Rousseau, Clément Jamin, Jérôme Mouchel.
Crédits photo : Separett, Ecodoméo, Ludivine et Jérôme MOUCHEL