La France compte de très nombreux habitats inconfortables.
Certains d’entre eux sont, de plus, coûteux à chauffer. Il fut un temps où ces appartements ou maisons furent occupés alors même qu’ils n’étaient guère différents et personne ne trouvait à y redire.
Aujourd’hui beaucoup de gens, et pas que ceux qui les occupent, trouvent à redire à leur sujet, allant jusqu’à les qualifier de passoires énergétiques. Ils veulent, à juste titre, les transformer, définitivement et durablement afin que de bâtiments coûteux à chauffer ils deviennent faciles à maintenir à une température élevée.
Pour ce faire, quasi unanimement, les politiciens, les financiers, les bureaux d’études, les prescripteurs (architectes, maîtres d’œuvre…), les fabricants de matériaux, les artisans, proposent LA solution miracle : l’isolation.
Le législateur les aide bien dans cette voie, les organismes certificateurs ou labellisateurs également au travers de moult labels (un article à venir).
Ont-ils tort ? Ont-ils raison ? Pour nombre d’entre eux, leurs motivations sont louables, pour d’autres la chose est plus difficile à cerner.
Certains mettent en avant des motivations nobles telles que l’insalubrité de ces passoires énergétiques, d’autres sont plus enclins à plaindre les occupants et la vie difficile qui leur est imposée. Il en est qui pensent au dérèglement climatique lié à la consommation d’énergie et aux Gaz à effet de Serre (GES) relâchés dans l’atmosphère
Il en est toutefois d’autres avec des motivations moins nobles et qui défendent leurs intérêts financiers. Effet d’aubaine : un gros marché, c’est beaucoup d’argent en jeu … en s’organisant bien, il peut y avoir moyen de tirer quelques marrons du feu.
On voit alors des lobbies se mettre en place, l’un pour défendre des fabricants, un autre pour épauler des groupes professionnels, acteurs de terrain ou prescripteurs en amont, ici les donneurs d’ordres, là les artisans, ici les fabricants, là les financiers… Tout ce beau monde se fait appuyer par le politicien local, dans un premier temps porte-parole, dans un second temps législateur, lequel défend son(ses) administré(s), au nom de l’emploi, au nom du civisme, au nom de l’humanitaire.
Bref, la vie “normale” de nos sociétés où chacun essaie de tirer le meilleur parti possible d’une situation donnée, en l’occurrence ici l’inconfort de ceux qui occupent les habitats les moins performants thermiquement.
Nous avons déjà abordé ici la réponse actuelle à ces situations. Nous en avons décortiqué les rouages et dit en quoi, à notre avis, les solutions, pardon LA SOLUTION proposée ne va pas dans le bon sens (l’isolation couplée au chauffage).
Nous allons la rappeler sommairement dans notre préalable.
Nous développerons ensuite, les dérives que nous avons constatées et qu’il faut absolument corriger, urgemment !
Préalable
Le paradigme actuel, faute d’être logique et globalement satisfaisant, présente l’avantage de la simplicité.
Si on s’y tient et qu’on en croit ce sur quoi il est basé, il suffit d’isoler pour chauffer moins et, ainsi, vivre dans une ambiance confortable à un coût d’exploitation supportable pour les occupants.
Force est de reconnaître que cette logique n’est pas dénuée de bon sens et que, globalement, ces modes opératoires ont permis de faire baisser les consommations d’énergie nécessaire au maintien de l’espace habitable à un niveau déterminé … mais pas autant qu’on aurait pu l’espérer !
Alors, forts de ce constat, nous avons décidé d’écrire à ce sujet et dire ce en quoi les choses ne vont pas dans le bon sens !
Entre autres de très nombreux impacts ou externalités ne sont pas pris en compte et, si nous avons pu les ignorer dans un passé encore récent (par défaut de connaissance, d’information sur les risques que nous prenions, par refus de croire les oiseaux de mauvaise augure qui nous prédisaient l’apocalypse …) nous ne pouvons plus les ignorer.
Nous utilisons à dessein le mot ignorer car il sous-tend que nous savons et que, si nous ne changeons rien à nos comportements, à nos choix techniques et/ou de matériaux, nous agissons sciemment, avec la connaissance des désordres potentiels qui nous impactent déjà et que nous allons encore accentuer.
Voyons donc ces défauts, point par point, depuis les coûts jusqu’aux impacts pour les générations futures en passant par la santé des occupants.
Qu’est-ce qu’un coût, un impact ?
Nous considérons comme un coût toute dépense, toute consommation, tout ce qui, dans un équilibre entre débours ou encaissement, entrée ou sortie, consommation ou conservation, se situe du côté négatif, de ce côté qui fait qu’il y a moins après qu’avant.
Dit autrement, nous appellerons ci-après “coût” tout ce qui constitue un débit, un retrait.
De quels coûts ou impacts parle-t-on ?
Lorsqu’il est question de bâtiment et que le centre de la réflexion du coût se situe au niveau de l’énergie et des ressources, il est incroyable de constater, tel que nous l’avons abordé dans d’autres paragraphes ci-après, que c’est quasiment toujours de celles liées à l’exploitation dont il est question et que celles liées aux travaux en amont sont royalement ignorées.
Il en résulte une dérive sur le plan des travaux ou de la construction, une débauche de moyens visant à atteindre des niveaux de consommation les plus bas possibles au niveau de l’exploitation. Or les deux aspects sont très importants, les coûts de construction autant que ceux d’exploitation.
Ceci n’est malheureusement pas l’apanage du bâtiment. Bien peu de consommateurs pensent à tout ce qui est consommé pour produire un véhicule ou un appareil de chauffage, de gestion, de régulation, d’automation quelconque qu’on leur prescrit pour quasiment, du moins l’espèrent-ils, ne plus rien consommer à l’usage.
Nous verrons aussi ci-après qu’au-delà de la catégorie à laquelle il faut les rattacher, les coûts sont de natures diverses.
Les impacts des coûts liés aux travaux
Ils concernent tout ce qui relève de l’acte de construire, rénover ou aménager.
Ils sont liés à l’extraction des ingrédients de base, minéraux, chimiques, géosourcés ou biosourcés, à leur transport ; à la “R&D” pour la mise au point des systèmes ; à la fabrication des matériaux ou des éléments ; à leur transport à nouveau ; à leur mise en œuvre et à leur recyclage, y compris leur tri, leur collecte et, encore une fois, leur transport.
Les ressources prises en compte sont aussi bien celles d’origine renouvelable que celles d’origine fossile.
La mise en œuvre (ainsi que la dépose en fin de vie) sur le chantier sont aussi à prendre en compte, y compris les impacts liés à la logistique de transport, de déplacement et d’hébergement éventuels des intervenants.
Les impacts des coûts d’exploitation
Ceux-ci sont bien connus puisque ce sont ceux qui sont sous l’oculaire du microscope, ceux qu’on poursuit depuis bientôt 50 ans, à la quasi exclusion des autres.
Ils comportent la consommation d’énergie qui leur est nécessaire pour fonctionner.
Il convient de leur ajouter tous les frais et matériels ou matériaux d’entretien, ce qu’on appelle les consommables (par exemple les filtres des VMC double-flux ou le ramonage d’une chaudière), ainsi que les coûts économiques et d’énergie liés à cet entretien.
La fin de vie et le changement de l’équipement, bien qu’impactant les divers bilans, seront à mettre au compte des coûts liés aux travaux. Ils augmenteront donc le temps d’amortissement.
Coût environnemental
Nous disposons d’un biotope qui nous convient bien, la terre. C’est normal puisque selon la théorie de l’évolution des espèces telle que Darwin l’a exposée, nous nous sommes, homo sapiens, adaptés à notre brave planète au fil de notre évolution.
Il apparaît de plus en plus évident que, si nous “consommons notre planète” nous n’avons pas de plan B, en tout cas aussi longtemps que nous en serons aux technologies que nous maîtrisons.
Il apparaît aussi de plus en plus évident que, bien qu’informés de cette obligation de vivre ici, nous nous soucions bien peu de son état.
Serions-nous la seule espèce qui détruit sciemment son biotope ?
Nous consommons tout ce que la nature nous propose, nous nous attribuons tout ce dont nous pensons avoir besoin, sans nous soucier des autres espèces, sans nous soucier des possibilités de notre planète à nous fournir ce que nous y puisons ou ce que nous y produisons.
Depuis 1970 nous dépassons chaque année les capacités de production de la planète, ce phénomène porte même un nom : le jour du dépassement.
La France consomme l’équivalent de la production de 3 planètes ; au plan mondial nous en sommes à 1,7.
Le bâtiment participe allègrement à cette dérive, avec, par exemple, encore majoritairement des constructions en béton.
En ce qui concerne spécifiquement les isolants, nous privilégions des matériaux énergivores.
Selon TBC, entreprise d’analyse du bâtiment, il ressort d’une enquête réalisée en 2018 près de 200 professionnels, que les parts de marché des isolants se répartissent comme suit : les laines minérales, 50 % ; ceux issus de la pétrochimie, 40 %. Les plus respectueux de l’environnement, les biosourcés, ne représentent que 7 % du marché français !
Pourtant les plus plébiscités ne sont ni les plus performants globalement selon l’ensemble des critères (que nous développerons dans des articles à suivre), ni les plus recyclables (voir ci-après § coût Ecologique).
Sociétal
Les choix sont orientés vers les produits soit les moins chers, soit les plus rapides ou faciles à mettre en œuvre.
Dans l’ancien, qui représente peu ou prou 50 % de part de marché, les incitations fiscales et/ou sous forme de subventions ou primes sont organisées de telle sorte que les professionnels puissent se substituer aux bénéficiaires. Ceci entraîne des dérives qui amènent certains de ces professionnels à faire des choix qui les avantagent le plus possible économiquement, malheureusement au détriment de la qualité et du service réel vendu (dans le sens de la pertinence ou non des travaux réalisés).
Les mises en œuvre sont de moins en moins qualitatives, les isolants sont mélangés (vidéo) en couches successives au fur et à mesure des travaux, avec mélange des matériaux, donc énormes difficultés, voire impossibilité au recyclage à terme puisque la base du recyclage est qu’un matériau doit être exempt de toute pollution (un mélange de matériaux est une pollution : il faudra les séparer pour les valoriser correctement).
Les choix de matériaux difficilement recyclables, voire non recyclables, les choix de matériaux énergivores engendrent des externalités diverses. N’étant pas prises en compte, assumées, entre autres des fabricants, elles devront, à terme, être assurées par la société dans sa globalité (voir l’exemple de l’amiante : ce ne sont pas les producteurs qui assument les conséquences des défauts de ce matériau).
Coût écologique
Selon le Larousse : “Science ayant pour objet les relations des êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) avec leur environnement, ainsi qu’avec les autres êtres vivants”. Vu sous cet angle, même des relations négatives relèvent de l’écologie.
Chez Soigner l’Habitat, nous ajoutons, comme beaucoup d’autres d’ailleurs : rapports positifs, à savoir respect de la biodiversité, respect des biotopes…
Que constate-t-on en ce qui concerne l’isolation sous l’angle de l’écologie ?
Si l’objectif, tel que décrit ci-avant, est bien d’avoir chaud à un moindre coût, alors oui, l’isolation est écologique.
Si l’objectif est de n’utiliser que ce qui aura un effet positif (voir ci-avant les pertinences entre coût des travaux et coût à l’exploitation), force est de constater que, très souvent, l’isolation n’est pas écologique.
Si l’objectif est de n’utiliser que des matériaux à impacts positifs supérieurs aux impacts négatifs, force est de constater qu’en ce qui concerne 90 % des isolants utilisés (laines minérales, polystyrène, polyuréthane …), ils ne répondent pas à l’écologie positive.
Si l’objectif est de ne pas dérégler l’équilibre de notre biotope, particulièrement au niveau climatique (entre autres du fait des émissions de GES), force est de constater que le concept général actuel de l’isolation n’est pas la bonne voie.
Il nous paraît donc indispensable que la priorité absolue soit donnée dès que possible aux matériaux isolants écologiques.
Nous devrions, a minima, opter pour des matériaux facilement recyclables, et qui seront effectivement recyclés (voir par exemple le greenwashing quant à la recyclabilité de la laine de verre).
Les impacts salubrité et santé
Isoler n’a pas qu’un impact sur le porte-monnaie ; cet acte influe également sur la vie du bâtiment.
De plus en plus souvent, en même temps que nous isolons, nous améliorons l’étanchéité au vent des bâtis, et c’est une excellente chose !
Cependant, en même temps, nous limitons, voire nous annulons, les possibilités de régulation de la teneur en eau de l’air intérieur.
Une attention toute particulière doit être portée sur la salubrité des locaux après isolation et sur les risques sanitaires encourus par les occupants
Nous devons être extrêmement vigilants sur le renouvellement d’air après des travaux d’amélioration énergétique.
Nous pensons qu’il faudrait imposer une obligation de veiller sur ce point, de sorte à respecter au moins les obligations de l’arrêté du 22/10/69 amendé en 1982 et 1983.
Contre l’humanité future
La question de l’avenir de l’homme sur notre terre devient de plus en plus prégnante, à de multiples points de vue.
Le dérèglement climatique, de plus en plus constatable, si ce n’est au quotidien au moins du fait de la plus grande intensité et de la plus grande fréquence d’événements climatiques exceptionnels (canicules, sécheresses, pluies diluviennes, tempêtes…) est devenu le marqueur principal de cette problématique de la difficulté même pour homo sapiens à survivre sous la bienveillance de Pachamama.
En effet, pour vivre dans un environnement de plus en plus hostile, nos descendants auront besoin, entre autres, de ressources énergétiques et de minerais.
Or, dans notre frénésie vers le toujours plus, y compris pour l’isolation, nous consommons les réserves non renouvelables bien au-delà du raisonnable.
Même les tenants du développement durable, concept pour le moins sujet à discussion, l’ont défini ainsi : “Un développement durable doit répondre à nos besoins présents, sans que cela empêche les générations du futur de répondre aux leurs”
Nous demandons qu’il soit imposé en tant que urgence absolue le respect des trois concepts suivants :
- isoler certes, mais ne pas isoler au-delà du raisonnable : équilibres bénéfices / pertes entre les coûts de réalisation et les bénéfices à l’exploitation,
- consommer les ressources fossiles diverses en veillant bien à laisser à nos descendants ce qui leur sera nécessaire pour faire face à leurs propres besoins,
- viser la neutralité carbone (a minima des émissions issues de ressources fossiles) le plus rapidement possible.
Conclusion
Si l’isolation des bâtiments part d’un bon principe, celui-ci a été largement dévoyé par oubli de certains principes de base.
- Nous isolons pour atteindre le confort par maintien à une température adéquate. Ceci se fait sans prendre en compte les coûts financiers, de consommation de ressources et d’énergie liés aux travaux et aux fournitures, et sans nous soucier de savoir si le temps d’amortissement est raisonnable.
- Pour 90 % des interventions, nous isolons avec des matériaux non écologiques et/ou énergivores (laines minérales, 50 % des parts de marché ; produits issus de la pétrochimie, 40 % !).
- Nous ne nous soucions pas de notre niveau de consommation de ressources fossiles eu égard aux besoins des générations futures de ces mêmes ressources.
La permaculture consiste à “faire beaucoup avec peu” (pour plus de détail, aller ici), or notre constat est que, souvent, nous faisons beaucoup avec beaucoup, parfois même et sous certains aspects, nous faisons peu avec beaucoup…
Changeons de paradigme, appliquons la permaculture dans le bâtiment : faisons beaucoup (en tout cas ce qui est raisonnable) avec le moins possible… Cherchons le point d’équilibre.
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