Chacun aspire à disposer d’un toit, c’est même une nécessité. C’est tellement vrai que ce besoin a été inscrit dans le marbre. Il est même devenu un droit opposable, c’est à dire que quiconque n’en dispose pas peut mettre en demeure les autorités de lui en proposer un.
Heureusement la majorité des hommes et femmes de nos pays démocratiques n’en est pas là. Il ne faut pas, pour autant, oublier ceux et celles pour qui ce n’est pas le cas.
Dans cet article, dédié aux résidences principales, je vais faire le point de la situation globale actuelle, d’une part au plan comptable, avec la froideur des chiffres et, d’autre part au plan de la qualité des habitats, avec une autre froideur, celle de l’analyse d’une réalité qui… n’est pas celle qu’on aimerait !
Vous l’avez compris, cet article n’est pas une nouvelle agréable à lire mais une nécessaire prise de conscience de notre situation et de faits bien réels.
Ce qui est certain c’est que bien peu des travaux visant à améliorer les habitations anciennes sont entrepris sous une approche holistique, la seule pour autant qui vaille, tant pour les bâtis que les occupants et, plus largement pour le climat et les générations futures, nos descendants.
L’habitat individuel est plébiscité
Comme partout dans le monde, l’habitat en France évolue, les modèles de l’unité d’habitation ont varié au niveau des m2 disponibles par occupant, de la répartition de ces résidences, des aspirations des futurs occupants…
Aspirations des français
Selon un sondage réalisé en 2007 par TNS Sofres pour le compte de l’Observatoire de la ville, alors que seulement 68 % des sondés disent occuper un habitat individuel, 87 % y aspirent.
Certes ce sondage remonte à plus de 10 ans mais, libre interprétation, il est probable qu’il ne serait guère différent aujourd’hui.
Suite au confinement, la tendance semble même s’accentuer avec, cette fois et de façon très claire, une aspiration de plus en plus grande à quitter la ville pour opérer un retour vers la campagne et probablement, en arrière pensée compte tenu que généralement l’habitat y est beaucoup plus diffus, un objectif vers l’individuel.
Pour autant, l’évolution des permis de construire accordés et la volonté gouvernementale ne semblent pas du tout aller dans le sens de cette aspiration et confirment que le neuf en individuel n’est plus en odeur de sainteté.
Typologie du parc
Selon l’INSEE, le parc métropolitain français d’unités d’habitation se monte, en 2019, à 35,7 millions et croît, globalement et annuellement de 1,1 %, soit une création annuelle nette d’environ 400 000 logements neufs.
La France métropolitaine compte 29,1 millions de résidences principales contre 5,5 pour les résidences secondaires, les proportions entre les deux sont restées stables entre 1984 et 2019 (années références). Par contre le taux de vacance progresse légèrement sur les débuts de la période et très rapidement depuis 2005 ; il se situe de 0,2 à 0,6 % entre 1984 et 2004, il s’envole ensuite pour atteindre 2,4 % en 2019 avec un pic à 3,7 % entre 2009 et 2014… Faut-il voir dans son envolée récente un effet du droit opposable au logement ?
Les Français, à hauteur de 55,6 %, vivent dans des habitats de type individuel (maison) par opposition à l’habitat dit collectif.
Les occupants en sont propriétaires pour 58 % et la proportion d’habitat individuel est d’autant plus importante que la zone d’implantation est proche de/ou à la campagne.
Evolution du parc de l’immobilier
Tel qu’évoqué ci-avant, le renouvellement annuel du parc est de l’ordre, bon an mal an, de 1 %.
Dit autrement, le parc occupé ou qui va l’être est à 99 % constitué d’ancien.
Dans quel état se trouve-t-il ? Quels coûts au plan exploitation (chauffage entre autres) pour les occupants pour atteindre un niveau de confort conforme à celui actuellement considéré comme étant “normal” ? Quel coût financier au plan des ressources et de l’énergie nécessaires ? Avec quels impacts sur le climat et l’avenir de nos descendants (vidéo) ?
Performance énergétique
Selon l’étude TREMI réalisée par l’ADEME, la motivation principale de ceux qui veulent faire réaliser des travaux d’amélioration énergétique est, de très loin, la recherche d’un meilleur confort.
Les travaux réalisés dans les habitations anciennes, préconisés par les professionnels (thermiciens, diagnostiqueurs, artisans et autres analystes “spécialistes” dans ces domaines), le sont non pas avec la recherche de l’amélioration du confort tel que développé ci-avant mais dans l’optique obsessionnelle de la performance énergétique.
Notons, pour rappel, que, de fait, il n’y a pas adéquation entre les préconisations des professionnels et les aspirations des occupants.
Situation en 2012 au plan énergétique
Selon les statistiques officielles, parmi tous les DPE réalisés en 2012, 56 % des habitations diagnostiquées affichaient une performance très moyenne. Ces habitats consommaient entre 151 et 330 kWhep/m2, ce qui correspond à la moyenne des étiquettes D et E.
Les habitations ayant bénéficié d’une étiquette A, B ou C représentaient 14 % du parc, leur consommation d’énergie étant inférieure à 150 kWhep/m2.
Le solde (soit 100 % – 56,6 % – 14 % = 29,4 %) se classe en F ou G, ce qui correspond à une consommation allant de 331 à 450 kWhep/m2/an pour les F et à plus de 450 kWhep/m2 pour celles classées G.
Evolution du marché
De nombreuses aides à la rénovation énergétique, des communications également nombreuses, dans la bouche des politiciens de tous bords, dans la presse généraliste, dans les émissions ou écrits de tous ordres sur des médias de tous types, des témoignages divers sur les réseaux sociaux, incitent à la recherche de l’isolation des bâtis anciens.
De nombreux aigrefins de tous poils, ayant “flairé” la bonne affaire, le business facile, le volume du marché très important, la non-maîtrise de celui-ci par les acteurs traditionnels que sont les artisans, sont apparus et matraquent à tout va sur la “pseudo-gratuité” de la réalisation des travaux.
Certes ils sont “RGE”, mais ça veut dire quoi ? Qu’ils sont compétents ? Malheureusement non !
Bref, tout le monde incite à faire réaliser de tels travaux et, il faut bien l’avouer, de nombreux candidats sont prêts à croire tout ce beau monde, se disant qu’au pire ça ne leur coûtera rien… A voir !
Evolution des performances suite aux travaux
Selon une étude de l’ADEME réalisée entre 2014 et 2016, années pleines, donc sur 3 ans, il ressort qu’à tout le moins, ce n’est pas glorieux… et encore, il n’est fait état dans ce rapport que des performances thermiques non atteintes. Mais que dire du confort probablement pas au rendez-vous, de la salubrité quasi jamais prise en compte, de la pérennité des habitats si les matériaux et techniques ne sont pas compatibles avec leur nature ?
Peut-on faire confiance à cette étude ?
Si on s’en tient au nombre des “sondés”, oui, selon l’expression consacrée, le panel est représentatif (pdf) de la situation globale (page 25 du document) :
- 29 253 “sondés”
- 19 289 n’ont pas fait de travaux
- 9 964 en ont fait
Autant dire que les chiffres annoncés ci-après sont dignes de confiance : presque 10 000 “concernés” !
Total financier engagé
En prenant en compte les aides diverses versées, telles que les crédits d’impôts, les avantages des prêts à taux zéro, le taux de TVA réduit, les certificats d’économie d’énergie et autres, en prenant en compte le “reste à charge” pour les commanditaires (car il y en a souvent, contrairement aux allégations des télévendeurs et vendeurs directs), les sommes totales consacrées se sont montées, sur l’ensemble des trois ans, à 59,3 milliards d’euros dont 50,5 spécifiquement pour des travaux d’amélioration (page 17 du document de TREMI de l’ADEME dont lien d’accès dans le § “Performance énergétique” ci-avant), le solde étant probablement lié à des travaux annexes non impactants au niveau performance énergétique (travaux de finitions et remise en état des parements par exemple).
Attendu qu’il n’est pas envisageable de séparer les frais annexes des frais directs, il est normal de prendre en compte les sommes globales engagées, donc les 59,3 milliards… ce qui représente quasiment 20 milliards par année.
Pour le moins, ces sommes sont tout sauf négligeables !
Gains obtenus
Avec de tels montants mis dans la balance, nous serions en droit d’attendre des résultats à la hauteur des espoirs de ceux qui les ont engagés, soit sur leurs deniers propres, soit en s’appuyant sur les aides publiques diverses.
Confort
Il n’est pas facile de réaliser une évaluation formelle de satisfaction des occupants au plan du confort, notons toutefois que 83 % des occupants estiment avoir connu un gain sur ce plan (page 9 du document TREMI). Ceci démontre une fois de plus, si besoin en était, à l’analyse des chiffres de gain thermique réel ci-après, que confort et déperditions thermiques ne sont absolument pas synonymes !
Performances thermiques
Le moyen le plus simple pour comparer les situations avant et après travaux consiste à comparer la résidence dans le cadre de deux Diagnostics de Performance Energétique (DPE), l’un réalisé avant travaux et l’autre après.
Certes les méthodes de ces diagnostics ne sont pas exemptes de critiques, mais nous ne disposons pas de mieux et devrons nous en contenter.
La page 9 du document TREMI de l’ADEME met en avant la réalité de “l’exploit” atteint :
sur 5,1 millions de logements ayant fait l’objet de travaux :
- 5 % ont progressé de 2 classes ou plus,
- 20 % ont progressé de 1 classe et…
- 75 % n’ont pas progressé.
Tout ça pour ça serait-on tenté de dire !
Qui paie cette gabegie ?
Une partie des dépenses est directement prise en charge par les commanditaires. Libre à chacun de faire ce qu’il veut de son argent… pour autant que la dépense n’engendre pas de désordres aux plans climat, ressources et environnement, auquel cas il serait bien d’en expliquer les tenants et aboutissants aux commanditaires !
Les aides publiques
Chaque fois qu’une aide est distribuée, elle doit, en amont, avoir été budgétée. Dit autrement, il n’est pas possible de dépenser l’argent qu’on n’a pas !
Que les aides soient européennes, nationales, régionales ou locales, elles sont issues d’un budget général, lequel budget trouve ses ressources financières dans… les impôts, directs ou indirects, les taxes et autres prélèvements, tous abondés par nous tous !
La génération spontanée n’existe pas plus là qu’ailleurs.
Qui aimerait dépenser sciemment son argent dans un gouffre sans fond ne produisant que très médiocrement les effets escomptés ?
Qui aimerait constater que son investissement a surtout été utile aux grands groupes qui vendent les matériaux mis en œuvre et aux aigrefins qui consacrent la majeure partie des sommes collectées à la publicité, aux frais de commercialisation et aux bénéfices des actionnaires ?
Les Certificats d’Economie d’Energie (CEE)
Il s’agit des primes versées par ceux qui nous vendent l’énergie (Total, EDF et autres producteurs ou distributeurs tels que Leclerc ou Auchamp et tant d’autres ).
Ils sont ce qu’on appelle “les obligés” : la loi les oblige à accompagner sous toute forme possible ce qui permettra de consommer moins d’énergie. S’ils n’abondent pas dans ce sens, ils sont taxés directement de façon plus importante : ce ne sont donc pas de bons samaritains mais de bons gestionnaires qui, entre deux contraintes choisissent la moindre.
Tout comme nous abondons les aides publiques, nous abondons nous-mêmes les CEE en achetant l’énergie à tous nos fournisseurs, avec une part du prix dédiée à cet usage et… payée par l’acheteur que nous sommes.
Et l’avenir des bâtis et de ses occupants dans tout ça ?
Parmi les points délicats, deux nous semblent représentatifs de la non-prise en compte de tout ce qui devrait l’être.
Qualité de l’air
Un des points les plus délicats concerne l’air de nos habitats.
Nous y vivons de plus en plus longuement, nous y émettons de plus en plus de vapeur d’eau et ils sont de plus en plus étanches aux flux d’air (ce qui, sur un plan thermique, est une excellente chose).
Pour autant l’air intérieur saturé en vapeur d’eau est source de pathologies, tant pour les occupants que pour les bâtis. C’est aussi une des causes de chauffage à des températures élevées pour revenir à un niveau de confort recherché.
Or, parmi d’autres aberrations, le rapport TREMI souligne que le renouvellement d’air n’est pas assez pris en compte (page 11).
Présence d’eau dans les maisons
Les bâtis anciens ont le plus souvent et majoritairement été construits sans système de rupture des remontées capillaires.
Il en ressort que leurs murs peuvent être trop chargés en eau (ils en ont besoin, mais dans des proportions qu’il leur faut maîtriser) ; l’excès de ce liquide leur est préjudiciable.
La mise en œuvre, contre ces murs, de matériaux non adaptés peut y générer des pathologies graves pour leur devenir.
Conclusion
Les Français habitent majoritairement en habitat individuel (55,6 %) ; environ 68 % y aspirent.
Chacun aimerait que son habitat soit confortable, salubre et pérenne.
Selon une grande enquête (pdf) menée par l’ADEME en 2017, il apparaît que 8 ménages sur 10 citent la recherche de plus de confort en première aspiration dans le cadre de travaux visant à l’amélioration énergétique de leur habitat.
Or les objectifs poursuivis par les professionnels sur les chantiers (sous l’incitation des législations diverses), dans le cadre des travaux préconisés par les professionnels divers (thermiciens, analystes, artisans…) sont, quant à eux, motivés par une recherche quasi exclusive de performance thermique de l’enveloppe de l’habitat.
Il apparaît, d’emblée, qu’il n’y a pas adéquation entre les aspirations des occupants et les propositions des professionnels consultés.
De multiples raisons peuvent justifier de cet état de fait :
- la législation qui l’oriente ainsi,
- les incitations fiscales qui lui font la part belle,
- les subventions ainsi que les primes diverses qui sont, elles aussi, orientées vers cet objectif,
- il est très simple de mettre la thermie en équation, surtout lorsque les règles physiques appliquées sont simplifiées à l’extrême au point qu’on peut affirmer qu’elles sont bafouées,
- le ressenti de confort ne peut pas se mettre en équation, il est différent pour chaque individu,
- … parce que certains y trouvent largement leur compte ?
Passoires énergétiques
Beaucoup des habitats anciens sont à des niveaux de confort d’un autre temps et, thermiquement, qualifiés de passoires énergétiques.
Avec 14 % des résidences principales à moins de 150 kWh/au m2 pour les besoins de chauffage et environ 24 % à plus de 330 kWh/m2, le reste, soit 62 %, dans le “ventre mou”, entre 151 et 330, l’ensemble est loin d’être satisfaisant.
Force est de constater que la réalité n’est pas glorieuse !
Ces habitats médiocres posent tellement de problèmes de santé que les autorités commencent (enfin !) à réfléchir sur les notions de confort (hygrothermique, acoustique et lumineux) et que l’Agence Qualité Construction (AQC), un des bras armés des autorités de tutelle, s’est vu confier l’élaboration d’un document faisant, entre autres, l’état des moyens disponibles pour y remédier.
Salubrité, confort
Au travers de nombreux articles nous nous avons déjà abordé ou nous allons aborder ici les thèmes du confort, de la santé des occupants, des choix qui devraient présider aux travaux sur des habitats anciens.
Ceci est ou sera fait avec un abord sous l’angle de la thermie, comme une majeure partie de ce qui est pratiqué cependant, grosse différence, en nous posant aussi des questions moins souvent abordées et prises en compte.
Nous avons fait le constat de l’absence d’un chaînon essentiel dans le cadre de l’analyse et de la programmation des travaux : le généraliste de l’immobilier ancien.
Peut-on continuer longtemps ainsi ?
Non, il faut changer de paradigme.
Nous n’avons ni les moyens (impact climat, aspiration de nos concitoyens…) ni le droit, vis-à-vis des bâtis eux-mêmes (pérennité des ouvrages) et vis-à-vis de nos descendants (consommation irraisonnée et beaucoup trop inefficace de ressources précieuses qui leur feront défaut) de continuer sur de telles pratiques.
Si, comme nous, vous avez envie d’agir, nous vous proposons ici l’accès à un document généraliste qui aborde ce sujet de façon transverse et récapitule diverses positions déjà développées ici.
Seuls nous ne pourrons rien !
Ensemble, nous pourrons peut-être influencer un tant soit peu les autorités, faire évoluer les mentalités et les habitudes de travail, c’est à cela que nous aspirons, c’est dans ce sens que je vous propose ce document
Dernière minute : opportunité !
Pour bien nous situer dans le temps, j’écris ceci en juin 2020.
L’Union Nationale des Syndicats Français d’Architecte (UNSFA) a sondé 22 000 bureaux d’architecture sur leur situation suite au choc de la Covid-19 et au confinement qui s’en est suivi.
900 ont répondu.
Il ressort de leur analyse qu’il faudrait, urgemment, trouver 20 milliards d’euros de travaux.
Ils demandent aux autorités de relancer les investissements pour des marchés publics et privés à hauteur de ce chiffre… 20 milliards, c’est peu ou prou le montant de ce qui a été dépensé par les particuliers pour améliorer le niveau de performance thermique de leurs habitats, chaque année, entre 2014 et 2016.
La Commission Citoyenne pour le Climat, dans le panel de ses propositions, a inscrit la création d’un budget pour l’amélioration énergétique des habitats de… 22 milliards d’euros par année.
Là encore, quasi le même montant !
Quand on parle d’opportunité !
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