C’est en tout cas ce nous annonce Calcia dans une de ses communications.
Extrait de cette communication (le titre) :
“Le béton est une richesse pour l’écologie : demandez aux poissons !”
Cet article nous a été indiqué par un de nos lecteurs et nous le remercions vivement de cette attention.
Heureusement que nous étions bien assis et nos bras bien attachés car nous en serions tombés sur … notre séant et nos bras nous en seraient tombés, ce qui, avouons le, rendrait l’exercice de rédaction plus compliqué !
Attention, c’est lourd comme du béton !
Commençons par rappeler qui est Calcia : suite au rachat par le groupe suisse Holcim de notre ex-fleuron national Lafarge, la place de leader français du ciment était libre.
Calcia a gravi la 1ère marche du podium et le fait savoir dès la page d’accueil de son site internet, (extrait) :
“Avec 5,3 millions de tonnes de ciments vendues, 10 cimenteries et 1350 salariés, Ciments Calcia occupe la place de major de l’industrie du ciment en France”
Alors leader du ciment en France, si cette entreprise le revendique, c’est probablement qu’elle l’est, nous n’avons pas vérifié mais ceci, au moins, doit être vrai.
C’est d’ailleurs, au plan mondial, une affaire de poids lourds puisque le groupe Holcim-Lafarge est n°1 mondial et HeidelbergCement, propriétaire de Ciments Calcia est n°2 mondial … mais n°1 mondial des agrégats. L’un est suisse, Holcim, l’autre est allemand, Heidelberg (pdf).
Nous écrivons bien “ceci au moins doit être vrai” car pour le reste, nous avons plus que des doutes !
Nous affirmons rarement dès le début de l’article que nous le classons dans la rubrique “greenwashing”, mais là c’est sûr, ce n’est même plus du greenwashing, c’est carrément repeindre tout en vert.
Dans le groupe Heidelberg, toutes les communications présentent une couleur dominante : le vert, même les camions de livraison des bétons et des agrégats sont verts !
Décidément, faute d’être vertueux par nature, cet acteur semble obsédé par l’affichage visuel du contraire … et aussi par ses communications écrites accompagnées d’images ou vidéos qui ne dépareilleraient pas dans des communiqués d’associations de sauvegarde de la nature ou de promotion pour des vacances exotiques !
Des bandeaux défilants donnent le ton, dans l’ordre :
- “Ciments Calcia sera pilote du projet “Bâtiment zéro déchet” du CSF”
- “Ciments Calcia cherche à renforcer toujours davantage son engagement environnemental, notamment au travers d’une logique d’économie circulaire”
- “Découvrez comment Calcia fait rimer béton et construction durable”
Le dernier bandeau n’est pas, en lui-même, une affirmation visant à induire une image “Ciments Calcia, un dispositif industriel et commercial à découvrir” … cette fois c’est l’image de fond qui verdit le tout (il apparaît que les pays “verdis” sont ceux où le groupe ou ses filiales sont implantés, comme nous le disions ci-avant : c’est du lourd !).
Que nous dit cette communication ?
(extrait) : “ L’article R. 214-109 du code de l’environnement stipule qu’il faut permettre « la libre circulation des organismes vivants et leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri, le bon déroulement du transport naturel des sédiments ainsi que le bon fonctionnement des réservoirs biologiques »”.
Autre extrait “ En termes clairs, cela signifie que les ouvrages d’art doivent désormais être conçus ou adaptés …”
Tel que nous le lisons, il semblerait que, désormais, les ouvrages d’art doivent permettre la vie la libre circulation …
Que contient l’article sus-cité ?
Non, ce n’est pas désormais, ce qui sous-entendrait que cela devient obligatoire maintenant et seulement à partir de maintenant. Or si on consulte les articles divers autour de cette contrainte, la date ultime de ces prescriptions remonte au 1er janvier 2014.
Ouf, le béton arrive !
(Extrait)
“Des récifs artificiels en béton
Passes à poissons, crapauducs, etc. les exemples d’adaptation des ouvrages humains qui découpent le territoire et appauvrissent sa richesse biologique sont désormais pléthore. Pour favoriser la reprise de la vie marine ou fluviale qui doit faire face à une disparition des ressources halieutiques, les spécialistes ont fait appel au béton afin de créer des récifs artificiels et des passages qui permettent aux poissons, batraciens et crustacés d’entamer leur migration et leur reproduction en toute quiétude.”
Vous avez raison, vous qui avez rédigé cet article lorsque vous écrivez “. des ouvrages humains qui découpent le territoire et appauvrissent sa richesse biologique sont désormais pléthore”
En quoi consistent ces ouvrages ?
Des barrage hydrauliques, des viaducs, des détournements et canalisations de fleuves, des routes et voies de circulation diverses … toutes choses fort utiles, nous ne le contestons pas.
Mais sont-elles compatibles avec la vie, sans impact sur le dérèglement climatique ?
Voilà, des questions que, peut-être, nous aurions été bien avisés de nous poser avant leur réalisation !
En quoi sont réalisés ces ouvrages ?
En bitume et/ou en béton !
Tiens, tiens, un retour aux sources ?
Comment dit-on dans le cadre des incendies ? “Le pompier pyromane ?”
Après avoir “gêné”, “dégradé” les lieux de vie et les moyens de circulation du vivant, on répare ou on cache la misère ?
Pour nous, on cache la misère et on la maquille en bonne œuvre
En effet, remontons aux causes premières. Rappelons d’abord qu’une grande partie des ouvrages posant problème pour la biodiversité sont réalisés en béton.
Pour faire du béton, il faut du ciment et, pour faire du ciment, il faut extraire des matières premières, les transporter et les transformer. Cette transformation nécessite de l’énergie, beaucoup d’énergie, laquelle, pour son extraction, sa production, son transport, nécessite des ouvrages … bref, on n’en sort pas, c’est un cercle infernal; plus il faut d’énergie, plus on en consomme; plus il faut de ressources diverses, plus on en consomme; plus on avance dans ce sens, plus on pollue et détruit l’environnement !
Nous avons déjà, ici, développé en quoi le ciment est un matériau loin d’être vertueux et ses fabricants, les cimentiers, nous enfument encore et toujours.
Alors, faut-il ne rien faire ?
Non bien sûr, il faut au moins essayer de corriger les méfaits causés à la nature, c’est un devoir minimal … mais de là à nous annoncer que ces corrections sont des actions enrichissant l’écologie, il y a un abime que les promoteurs de ces corrections seraient bien inspirés de ne pas nous présenter comme des actes dignes de remerciements et félicitations.
En effet, imagine-t-on remercier et féliciter une personne malveillante qui, après avoir passé un quidam à tabac se serait arrêtée avant de le tuer et qui, après condamnation, réparerait le préjudice causé à sa victime ? « Non » bien sûr.
Imaginerait-on cet individu revendiquer une reconnaissance de grande humanité en se mettant au service de sa victime et qui, pour ce nouvel acte, se ferait payer ? A nouveau, « non » bien sûr !
C’est pourtant ce que fait ce fabricant de ciment !
Exemple 1 des “apports” du béton : des récifs artificiels
Il est quand même curieux de constater qu’alors que leur population est en baisse, il devient nécessaire de construire des récifs susceptibles d’accueillir les poissons en mer !
Pourquoi faut-il créer des récifs artificiels
Non pas car il y a plus de poissons, toutes les études démontrent le contraire.
S’il faut se tourner vers l’artificiel c’est parce que nous détruisons les milieux marins en surpêchant, en chalutant en grandes profondeurs et aussi (surtout ?) car pour faire du béton, on extrait du sable au-delà du raisonnable !
Nous l’avons extrait de façon déraisonnable de nos fleuves, empêchant ainsi les apports en mer. Nous l’avons extrait, et l’extrayons encore du milieu marin, faisant ainsi reculer les traits de côtes, gênant les mouvements naturels de cette matière première au fil des courants, des marées et des tempêtes.
Toutes ces extractions perturbent la vie géologique des plateaux continentaux, là où se trouvent les espèces qui cherchent refuge dans les récifs, les poissons dit pélagiques et plus encore pour ceux vivant carrément dans les roches.
Les perturbations sont liées aux faits que les courants marins ainsi bouleversés attaquent de plus en plus les roches naturellement présentes. La disparition du sable, l’érosion des plateaux marins ont généré des altitudes différenciées entre les rochers et le fond marin …
Une autre explication à ces récifs artificiels pourrait être mise en parallèle avec l’élevage terrestre intensif et concentrationnaire.
L’une des solutions de l’élevage de poissons est l’aquaculture en bassins, une autre est celle par élevage dans des fermes aquacoles qui enferment les poissons dans des filets-réservoirs et, enfin, l’alternative des récifs artificiels qui, effectivement, sont rapidement colonisés par la faune aquatique.
Accordons à cette dernière solution d’être la plus respectueuse des poissons en tant qu’êtres vivants.
Que sont les récifs artificiels par rapport aux récifs naturels ?
Soyons clairs, il ne nous semble pas que les poissons puissent faire la différence.
Ils sont donc probablement heureux de se voir offrir un habitat de substitution en lieu et place de celui que la nature leur offrait et dont nous les avons privés.
Et c’est bien là que se situe un des nœuds de notre réflexion : ces constructions artificielles sont-elles là pour le simple bonheur des habitants de nos côtes ou pour corriger une action antérieure qui a détruit ce qui leur convenait parfaitement : les récifs naturels ?
Pour nous, il ne fait guère de doute que ce n’est pas par altruisme que les opérateurs agissent ainsi mais pour corriger des actes antérieurs ou augmenter les possibilités de pêche.
Or pour fabriquer ces récifs, pour les transporter, les immerger, il faut de l’énergie. Pour disposer de cette énergie, il faut … mais là, nous nous répétons.
Tout comme nos HLM ont été peu durables en leur état d’origine, ces récifs, sortes de HLM de substitution pour poissons, risquent fort de n’être pas non plus très durables.
Par contre, les acteurs qui ont détruit les récifs d’origine ont déjà été payés pour leurs actes, ce, en vendant leurs productions antérieures, ce qui d’ailleurs était légitime.
Maintenant ils sont aussi payés pour la vente de leur production actuelle, nécessaire à la fabrication de ces nouveaux habitats … et encore impactants sur l’environnement.
… Et vous aimeriez, vous, les cimentiers, que nous applaudissions à vos exploits ?
Non, Mesdames et Messieurs les cimentiers, désolé, nous vous considérons faisant là le strict minimum. Il ne serait même pas forcément illégitime de vous demander de le faire à titre gracieux.
Vous devriez aussi vous estimer bienheureux que nous ne vous fassions pas payer des dommages au titre de l’article 700, car nous subissons tous des dommages de vos comportements non respectueux de l’environnement.
Remarquez que beaucoup devraient payer au titre de l’article 700 : ceux qui consomment déraisonnablement vos produits, ceux qui les prescrivent de façon irresponsable, ceux qui vous financent pour réaliser ces méfaits …
Exemple 2 des “apports” du béton : des passes à poissons
Faut-il rappeler qu’avant l’édification des obstacles gênant leur migration, en Bretagne et dans le Haut Allier, les commis de ferme faisaient préciser dans leurs contrats d’embauche qu’ils ne voulaient pas manger de saumon plus de 2 fois par semaine ?
Alors qu’aujourd’hui c’est moins de 400 saumons qui remontent l’Allier au-delà de Vichy, nous en sommes réduits, pour ne pas les voir définitivement éradiqués, à construire des passes à poisson ! Il ne passe plus d’anguilles, plus de lamproies …
Nous sommes tous un peu responsables de cette situation : dégradation de la qualité des eaux, apports de produits phytosanitaires, dégradation du milieu aquatique nécessaire au développement halieutique (entre autres par extraction irraisonnée du sable).
Si personne ou quasiment personne ne peut se revendiquer innocent, pour ce dernier point, vous faites, Mesdames et Messieurs les cimentiers, partie des principaux suspects.
Conclusion
Mesdames et Messieurs les cimentiers, si nous ne vous demandons pas de plaider coupables, au moins ayez la décence de ne pas essayer de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Vous, Mesdames et Messieurs les prescripteurs, avant de miser sur du tout béton, pensez aux impacts de vos préconisations.
Vous, Mesdames et Messieurs les utilisateurs, avant de succomber au béton, cherchez des solutions alternatives, limitez son emploi aux seuls lieux où aucun autre matériau ne pourrait lui être substitué de façon pertinente.
Il ne nous viendrait pas à l’idée de dire que le béton et son ingrédient quasi incontournable, le ciment Portland, seraient une solution à proscrire à tout prix.
Nous aimerions simplement que le bon matériau soit utilisé au bon endroit et que, celui qui remplira une fonction avec le plus faible impacte sur l’environnement soit choisi chaque fois que possible !
Le béton nous a rendu de grands services, il nous en rendra encore, mais pas pour tout et partout !
Et de grâce, vous, les cimentiers, s’il vous plait, un peu de modestie et d’objectivité car, en reprenant le titre de votre communication, pensez-vous que les poissons applaudiraient aux questions suivantes s’ils étaient en capacité de nous communiquer leurs sentiments :
“Vous, les poissons, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez du béton, des barrages qu’il a permis d’édifier, du sable dont il vous a privés, des abris artificiels qu’il vous impose en lieu et place de vos habitats naturels d’antan; des mini passages qu’il vous impose, indirectement, en lieu et place de la continuité de vos voies naturelles de déplacement et de migration …?”
Nous ne pensons pas qu’ils vous remercieraient.
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